Rembrandt van Rijn, "Les Pélerins d'Emmaüs", 1654
Une collection de gravures exceptionnelles
Une exposition inédite rendue possible par la riche collection du musée d’art et d’histoire de Genève. D’Adam et Ève aux prises avec le fruit défendu au baptême de l’eunuque, « Rembrandt et la bible. Gravure divine » fait vibrer l’histoire biblique en 70 scènes dessinées par le maître hollandais.
Une fabuleuse richesse iconographique
La nouvelle exposition du MIR a tout d’un événement exceptionnel. Aux 61 scènes religieuses de Rembrandt que détient le MAH s’ajoutent dix estampes empruntées au Musée Jenisch de Vevey et une gravure prêtée par la Fondation Kruger. En tout, 72 œuvres sont réunies pour la première fois. Cet ensemble représente une grande partie des 89 scènes religieuses gravées du peintre amstellodamois. On y voit par ailleurs une série de variantes que l’artiste a composées sur un même thème. Les visiteurs peuvent s’attarder sur quatre versions de la Fuite en Égypte de Jésus et sa famille. La Résurrection de Lazare est représentée sous deux angles opposés. Saint-Jérôme, à qui la tradition attribue la version canonique de la Bible, apparaît dans cinq gravures aux tons très divers. À cette fabuleuse richesse iconographique s’ajoutent encore des extraits de l’Ancien et du Nouveau testament, mais aussi de La Légende dorée, qui accompagnent la plupart des estampes et donnent à lire les passages dont Rembrandt s’est certainement inspiré.
Parcours chronologique de l’histoire biblique
Mis en scène par Simon de Tovar et Alain Batifoulier (Studio Tovar), le parcours de l’exposition offre une vision de l’histoire biblique en suivant un déroulé chronologique. L’Ancien Testament entame la visite avec une douzaine de gravures où l’on voit notamment Adam et Ève saisissants de réalisme et Abraham agité d’une douleur tragique. Le Nouveau Testament prend le relais, d’abord avec l’enfance du Christ montrée sur près de 20 gravures. On y voit deux Présentations au Temple et trois mises en scène de Jésus discutant avec les docteurs, toutes puissamment composées. Suit la vie publique du Christ avec une dizaine d’œuvres, parmi lesquelles une vigoureuse scène où le Fils de Dieu agite une corde cinglante pour chasser les marchands du Temple. La section atteint un sommet avec une scène de groupe, La Pièce aux cent florins (cf. page suivante), où Rembrandt offre un résumé de l’activité thaumaturgique et prédicatrice du Christ. Viennent finalement les derniers épisodes avec la crucifixion bien sûr, suivie par trois émouvantes descentes de croix, mais avant elle une bouleversante Agonie dans le jardin, où Jésus accablé par le destin qui l’attend est soutenu par un ange très humain, tandis que ses disciples dorment à proximité. Deux intermèdes viennent suspendre le récit, parmi lesquels une exposition de trois bibles hollandaises du 17ème siècle qui racontent l’irruption de la langue vernaculaire dans les traductions du Livre. Un acte de démocratisation grâce auquel Rembrandt a pu étudier en détails les récits qu’il voulait illustrer.
Un travail de préparation minutieux
Bénédicte De Donker, commissaire de l’exposition, s’est attelée depuis 2021 à plusieurs travaux d’investigation. La conservatrice au Cabinet d’arts graphiques du MAH a d’abord identifié les états des 220 gravures de Rembrandt que son institution détient. « L’état précise quelle version de la gravure on regarde », dit la commissaire. « Après chaque tirage, Rembrandt pouvait reprendre ses gravures pour des raisons artistiques, mais aussi parce que la presse abîmait la plaque de métal et qu’il devait la retravailler ». Certaines de ses gravures ont ainsi connu jusqu’à dix modifications successives, qui représentent autant d’états différents.
Mais en même temps qu’elle vérifiait les états, Bénédicte De Donker effectuait des recherches sur les époques d’impression. « Une partie des plaques gravées par Rembrandt ont continué d’être tirées jusqu’au début du 20ème siècle », dit la commissaire, « mais je peux dire que nous avons la chance d’avoir des tirages effectués par Rembrandt lui-même ». Enfin, il fallait aussi déterminer la provenance des œuvres. Les recherches de la conservatrice ont permis de remonter jusqu’au legs important du juriste genevois Jean-Jacques Burlamaqui au milieu du 18ème siècle. Une autre piste a conduit au célèbre peintre Barthélémy Bodmer. Des informations elles aussi inédites, qui ajoutent encore à la valeur de l’événement.
La sensibilité aigüe de Rembrandt
Accoudé près d’une fenêtre qui l’éclaire à peine, Rembrandt nous regarde avec un air inquiet. Peut-être est-il en train de travailler à un dessin difficile. Peut-être qu’il se demande si son œuvre passera à la postérité. Dominé par une obscurité dont le visage de l’artiste émerge faiblement, cet autoportrait ouvre l’exposition et nous plonge dans une émotion qui ne nous lâchera plus. D’Adam et Ève surpris en pleine dispute jusqu’à l’agonie de la Mère du Christ, nous serons happés par les scènes de l’histoire biblique devenues profondément familières grâce à la sensibilité aigüe du maître hollandais.
Crédit : Rembrandt dessinant ou gravant près d’une fenêtre, Musée d’art et d’histoire, Genève