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Interview de Bénédicte De Donker, commissaire de l’exposition “Rembrandt et la Bible”

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Dix questions à Bénédicte De Donker, commissaire de «Rembrandt et la Bible. Gravure divine » pour comprendre le maître hollandais et sa passion de la gravure.

« Rembrandt est l’un des grands génies de l’histoire de l’art ! »

Commissaire de l’exposition «Rembrandt et la Bible. Gravure divine » au MIR, Bénédicte De Donker est par ailleurs conservatrice au Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève, qui possède 220 gravures de Rembrandt entrées dans ses collections depuis 1748. Elle a dirigé l’ouvrage «Rembrandt et la Bible », co-publié par le MIR et les éditions Labor et Fides.

Vous êtes historienne de l’art, experte et immense passionnée de peinture et beaux-arts depuis toujours. Qui est Rembrandt à vos yeux ?

Un des grands génies de l’histoire de l’art occidental, dont les œuvres, grâce à son sens de l’observation et sa grande humanité, nous touchent encore aujourd’hui.

Sur les 314 estampes réalisées par Rembrandt, 89 sont consacrées à des sujets religieux. C’est ainsi la thématique la plus importante en nombre. Pourquoi ce grand intérêt de sa part ?

Dans les Provinces-Unies, et plus largement dans les pays européens, à l’époque de Rembrandt, les sujets religieux sont parmi les plus traités par les artistes, en peinture, en gravure…La religion est alors au cœur de la vie des européens. En outre, Rembrandt est un lecteur assidu de la Bible et y trouve des sujets qui résonnent avec sa foi et ses recherches artistiques.

Le MAH possède environ 220 gravures de Rembrandt. Un trésor méconnu ?

Pas tout à fait, le MAH a déjà eu l’occasion d’exposer à de nombreuses reprises certaines de ses gravures de Rembrandt, mais il faut remonter à l’exposition Rembrandt et la gravure hollandaise en 1964 pour en voir autant sorties des réserves du musée en une seule fois !

Une cinquantaine d’entre elles ont une histoire passionnante, puisqu’elles auraient été acquises en Hollande même dans les années 1720 par le juriste et amateur d’art genevois Jean-Jacques Burlamaqui. Des originales de la main de Rembrandt peut-être ?

On ne sait pas avec certitude où Jean-Jacques Burlamaqui a acheté ses estampes de Rembrandt mais il est vrai qu’il a fait un voyage d’étude en Hollande dans les années 1720. Et l’on peut se prendre à rêver qu’il les a peut-être achetées à ce moment-là, mais sans preuve. Toutes les gravures sont des originales de la main de Rembrandt, puisque c’est lui qui a gravé les plaques et la plupart des tirages présentés dans l’exposition sont tirés par lui. Certains cependant sont plus tardifs, et ont été tirés après la mort de Rembrandt.

Quelle est votre gravure préférée de l’exposition et pourquoi ?

Le choix est cornélien ! Mais j’ai une tendresse particulière pour Jésus prêchant, dit La Petite Tombe, pour sa qualité artistique mais surtout pour la présence très humaine du Christ et cette foule qui l’entoure, l’écoutant, avec des airs étonnés, pensifs, intéressés, révulsés… que l’on retrouve aujourd’hui sur les visages de personnes écoutant un orateur intéressant. Et pour ce détail de petit enfant se désintéressant de ce qui l’entoure et dessinant sur le sol : nous avons tous été un jour ce petit enfant s’embêtant dans une réunion d’adultes.

Pour quel usage les gravures à l’époque étaient-elles achetées ?

Les gravures à sujet religieux servent en premier lieu de soutien à la prière et à la vie intérieure du chrétien, elles peuvent donc être un support à la méditation, mais les gravures de Rembrandt sont aussi considérées comme des chefs-d’œuvre de l’art dès son époque, et donc collectionnées, et collées dans des albums que l’amateur d’art prenait plaisir ensuite à feuilleter.

Rembrandt utilisait comme modèles bibliques ses voisins, la foule du port d’Amsterdam ou encore sa femme Saskia en Vierge à l’enfant. Une manière de désacraliser les thèmes, de les rendre plus familiers à son public ?

Rembrandt ne cherche à pas à désacraliser les thèmes religieux, mais à les rendre plus proches des gens, afin de susciter l’empathie et de rapprocher les récits bibliques de la vie quotidienne des hollandais du XVIIe siècle. En choisissant de représenter les personnages bibliques comme vous et moi, et notamment la figure du Christ, il insiste sur leur humanité et donc notre capacité à nous identifier à eux et à les prendre pour modèles.

En quoi ces gravures sont-elles encore actuelles et peuvent-elles parler au public contemporain ?

Sans connaître l’histoire biblique, la technique de la gravure, ou l’histoire de l’art, ces gravures nous parlent par leur humanité. Rembrandt a cette capacité à saisir des émotions universelles en quelques traits. Sans même connaître les histoires représentées, on peut comprendre les interactions entre les personnages, ressentir leurs émotions.

La gravure est considérée parfois comme un art mineur par rapport à la peinture. Cette exposition est-elle à vos yeux également une manière de revaloriser l’art de la gravure ?

Oui, tout à fait, avec un génie de la trempe de Rembrandt dont la maîtrise technique de la gravure est extraordinaire, on ne peut que se dire que la gravure est un art majeur. Elle est peut-être plus exigeante pour le spectateur, qui doit entrer dans ces petits formats en noir et blanc, mais une fois qu’il fait ce premier pas, il ne peut qu’être ébloui par le monde de détails et d’émotions qui se déroule sous ses yeux.

Si vous pouviez poser une question à Rembrandt aujourd’hui, quelle serait-elle ?

Je lui demanderais : « Mais où avez-vous appris à graver comme cela ? »

« Le spectateur ne peut qu’être ébloui par le monde de détails et d’émotions qui se déroule sous ses yeux ! » Bénédicte De Donker