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Exposition temporaire en cours

Voir l’invisible. L’Art Brut et l’au-delà.

Voir l’invisible

L’Art Brut et l’au-delà

Un cercueil en forme de coq géant, une robe brodée conçue pour rejoindre un défunt dans l’au-delà, des taches violettes et carmin pour dialoguer avec des esprits, une évocation tourmentée du livre de l’Apocalypse par le fondateur de la Croix-Rouge, telles sont quelques-unes des œuvres exposées pour quatre mois dès le 30 janvier 2025 au MIR.

Sous le commissariat de la grande spécialiste Lucienne Peiry, quatorze autrices et auteurs d’Art Brut, du 19ème siècle à aujourd’hui, sont présenté.e.s à travers des créations qui interrogent l’immatériel, la mort et l’au-delà. D’Allemagne, de Chine, des Etats-Unis, de France, du Ghana, d’Indonésie, d’Italie, de Nouvelle Guinée, de Pologne, de Suisse, d’Autriche et de République tchèque, ces créatrices et créateurs expriment dans une grande diversité de formes des interrogations existentielles et métaphysiques. Solitaires, déviants, ils ne trouvent guère de place dans leur communauté et souvent n’envisagent de raison d’être qu’à travers des œuvres réalisées en autodidacte et à contre-courant. Leurs peintures, dessins, sculptures ou broderies sont, par excellence, des productions qui ouvrent sur l’altérité et sur l’invisible.

Dans la première salle, sculptures et bas-reliefs chatoyants de l’Italien Giovanni Battista Podestà (1895-1976) dénoncent la perte des valeurs symboliques et religieuses, alors qu’un faisceau de visages multicolores réalisé par l’Indonésienne Ni Tanjung (1930-2020) tisse un lien coloré avec le monde des ancêtres.

Comment capter les forces magnétiques échappant à toute représentation? Dans l’espace suivant, la Tchèque Anna Zemànkovà (1908-1986) utilise l’encre, le crayon et le pastel pour donner vie, entre 3 et 4 heures du matin, à une végétation sensuelle et onirique, alors que la Chinoise Guo Fengyi (1942-2010) exprime une quête spirituelle en réalisant des paysages corporels à l’aide d’innombrables coups de pinceau qui se juxtaposent, provoquant des vibrations optiques.

La salle 3 présente les dessins de quatre créatrices et créateurs. La Française Jeanne Tripier (1869-1944) réalise des «tables de voyance» en associant broderie, peinture et écriture. Se considérant comme messager d’un esprit, le Mélanésien Noviadi Angkasapura (1979) représente des créatures anthropomorphiques et des animaux imaginaires vertigineux, alors que le Polonais Edmund Monsiel (1897-1962) exécute à la mine de plomb des visages qui prennent parfois les traits d’un Christ, d’un pope ou d’un autre ecclésiastique à partir d’une ligne fine et ininterrompue. Après une expérience mystique, l’Américain John B. Murray (1908-1988) révèle sa foi à travers des dessins entremêlant des écrits volubiles et des figures totémiques.

Dans le quatrième espace, arrêt sur le Genevois Henry Dunant (1828-1910), fondateur de la Croix-Rouge, auteur inattendu de deux diagrammes prophétiques à partir des Livres bibliques de Daniel et de l’Apocalypse. Au sol, se déploie une grande constellation onirique et éphémère conçue par l’Allemande Marie Lieb (1844-1917); il s’agit d’une reconstitution réalisée par l’artiste suisse Mali Genest, avec des lambeaux de tissu.

Un coq géant accueille les visiteurs dans la dernière salle. Il est l’œuvre du Ghanéen Oko Ataa (1919-2012). C’est un sarcophage préparé pour un défunt réel. Appelé à se remémorer des productions similaires, le créateur a réalisé 80 dessins inspirés de ces cercueils figuratifs. Ils sont exposés sur l’un des murs de la salle. On découvre à proximité une robe créée par la française Jeanne Laporte-Fromage (1893-1956). Elle l’a cousue et brodée après le décès de son mari pour la revêtir et retrouver ce dernier dans l’au-delà. L’Autrichien August Walla (1936-2001) propose des représentations saisissantes de dieux, de démons et de divinités inventées auxquelles s’ajoutent les quatre crucifixions monumentales de l’Italien Giordano Gelli (1928-2011.

Le lieu de création de ces autrices et auteurs d’Art Brut est une cellule asilaire, une chambre exiguë, une cabane, une cave ou un grenier: un espace hors du temps et de la société, qui héberge l’imaginaire et l’utopie. Là, à huis clos, en réponse à une vision ou à une épiphanie, en relation avec des défunts ou des forces occultes, chacun.e accepte ou recherche un état de vacuité où la raison se relâche, favorisant une présence accrue à soi-même, aux choses, aux êtres, au monde, à l’invisible. Certain.es entrent dans des états de conscience modifiés, comparables à la transe et à l’extase mystique, causées par des pratiques rituelles ou la consommation de substances hallucinogènes.

Ils et elles ne se considèrent pas comme des artistes, mais comme des messagers, reliés à des défunts ou des divinités, en communion avec la nature ou le cosmos. C’est l’énergie ou la volonté de Dieu ou de Bouddha, d’esprits ou d’entités supérieures qu’ils disent capter ou suivre et traduisent dans leurs productions.

Ces créations nous incitent à l’introspection et aux interrogations existentielles. L’exposition invite tout à la fois à un voyage philosophique, esthétique et sensoriel.

Du 30 janvier au 1er juin 2025
Du mardi au dimanche de 10h à 17h

« Voir l’invisible » dans la dernière édition des Nouvelles du MIR

Giovanni Battista Podestà, CARO CREDENTE, vers 1975, Collection la Fabuloserie, Dicy, France